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Le choix du thème…
Les professionnels de la déficience visuelle sont en perpétuel questionnement pour trouver des objets pédagogiques utilisables par leurs élèves. La plupart du temps, les objets déjà adaptés n’existent pas : il faut donc détourner des objets pédagogiques ordinaires, voire en inventer de nouveaux, complètement personnalisés. Depuis quelques années, en plus des traditionnels ciseaux, papier, colle, cartons, etc., on peut recourir pour ces créations à des outils de prototypage rapide disponibles dans des fablabs : découpeuse laser, imprimante 3D, et bien d’autres…
Dans ce dossier, nous commencerons par présenter les fablabs et les découpeuses laser. Nous évoquerons ensuite le rôle des transcripteurs dans le processus de création d’objets adaptés à l’aide de ces nouvelles machines, avant de montrer quelques réalisations.
Ce dossier a pour vocation d’être alimenté par tout élément
susceptible de pouvoir l’enrichir, qu’il vienne infirmer ou confirmer les
informations recensées. L’objectif étant, à terme, d’établir une publication
détaillée.
Qu’est-ce qu’un fablab ?
Un fablab est un LABoratoire de FABrication ouvert au public proposant l’utilisation de nombreuses machines à commandes numériques, avec un apprentissage si nécessaire, et la mutualisation de compétences entre les utilisateurs. Le premier fablab a été fondé au MIT (Boston) à la fin des années 1990 pour rendre la communauté plus créative grâce à l’accès à la technologie. Il existe désormais dans le monde entier un vaste réseau de fablabs reposant sur le principe de la création collaborative. Ces laboratoires signataires d’une charte commune permettent à leurs usagers de fabriquer presque n’importe quoi ! Leur point commun est le partage de compétences et la volonté de fabriquer soi-même (do it yourself, DIY).
La France ne fait pas exception : les premier fablabs français ont été créés il y a environ dix ans, à Toulouse puis à Nantes… Aujourd’hui nous sommes tous les voisins plus ou moins immédiats d’un fablab… Dans une enquête réalisée entre 2017 et 2018, le Réseau Français des Fablabs a dénombré 150 structures se revendiquant des fablabs (auxquelles il faut ajouter les lieux non signataires de la charte et répondant à d’autres appellations : hackerspace, makerspace, livinglab, tiers-lieux…).
Les règles de fonctionnement des fablabs sont adaptées aux besoins de chaque communauté. Il existe des fablabs associatifs, des fablabs d’entreprise, à usage professionnel mais aussi personnel, des fablabs universitaires, réservés aux étudiants, aux enseignants et aux chercheurs, des fablabs dans des musées et espaces d’exposition, etc.
Les tarifs pour le grand public varient d’un endroit à l’autre, de la gratuité totale, y compris pour les matériaux, à la facturation minutée du temps d’utilisation des machines, en passant par des forfaits…
Pourquoi se rendre dans un fablab ?
- Pour mutualiser l’utilisation de matériel et de machines avec d’autres utilisateurs.
- Pour utiliser des machines coûteuses, voire très coûteuses, à l’achat comme en entretien, que l’on ne pourrait pas posséder. Même pour des machines désormais accessibles, comme les imprimantes 3D, le fablab présente des avantages certains : mise à disposition de plusieurs imprimantes 3D simultanément, entretien et renouvellement régulier des machines.
- Pour découvrir de nouvelles machines fréquemment, et disposer de formations pour en maîtriser l’usage.
- Pour échanger avec les autres utilisateurs de la communauté. Même s’ils ne sont pas spécialistes de la déficience visuelle, on trouve toujours de l’inspiration dans leurs projets.
Machines et matériel courants dans un fablab
- imprimante 3D
- découpeuse laser
- fraiseuse numérique, pour graver des reliefs importants
- découpeuse à fil chaud, pour les mousses et le polystyrène
- machine à coudre
- brodeuse numérique
- découpeuse vinyle
- kit Arduino (carte électronique programmable)
- scanner 3D
- outils manuels ou électriques variés…
Pour aller plus loin
Carte des fablabs (zoomer pour les adresses précises)
http://www.makery.info/map-labs/
Liste de fablabs
http://wiki.fablab.is/wiki/Portal:Labs
Charte des fablabs
http://fab.cba.mit.edu/about/charter/
Découpeuse laser
On vient au fablab pour découvrir l’imprimante 3D, parce que c’est la machine la plus emblématique. Mais on revient pour utiliser la découpeuse laser, parce qu’elle offre des fonctionnalités précieuses : grande variété de matériaux, fichiers de commande faciles à dessiner…
Description
Cette machine permet, grâce à un faisceau laser, de découper ou graver des matériaux d’une épaisseur maximale d’1 cm. La surface utile des découpeuses laser « courantes » peut aller jusqu’à 70 × 120 cm environ.
La précision du laser surpasse largement toute tentative de découpe manuelle, quel que soit le matériau découpé.
Matériaux utilisables
La diversité des matériaux disponibles rend la découpe laser très attrayante pour fabriquer des objets destinés à des personnes déficientes visuelles, car elle permet de proposer des expériences tactiles différentes.
On peut découper et parfois combiner dans un seul dispositif (liste non exhaustive) :
- bois, contre-plaqué, liège (sauf aggloméré)
- plexiglas (opaque, translucide, coloré, bicolore, miroir…)
- aimants
- cuir
- papier, carton, calque…
- tissu (sauf synthétique inflammable)
- feutrine
Le métal est proscrit. Pour les autres matériaux potentiels, la composition chimique dicte les interdictions, afin de limiter les émanations toxiques et les risques d’incendie.
Les objets découpés au laser sont souvent composés de plusieurs pièces assemblées, ce qui permet de créer du volume en dépit de l’utilisation de matériaux plats et peu épais. Avec certains emboitements particulièrement étudiés, on peut même se passer de colle pour la fixation.
Pour rendre souples certaines surfaces rigides ou pour déterminer des zones à plier, on découpe des motifs de stries régulièrement espacées selon la flexibilité souhaitée.
On a ainsi accès à des matériaux solides et variés, découpés de manière précise avec un outil unique, et on fabrique des objets adaptés et personnalisables plus durables qu’avec les matériaux qu’on pourrait couper manuellement.
Fichiers numériques de découpe laser
Format
Les fichiers de commande de la découpeuse laser, au format SVG, sont réalisés en dessin vectoriel, technique déjà familière aux transcripteurs-adaptateurs pour les dessins en relief.
L’épaisseur des tracés, le remplissage des surfaces, et/ou le code couleur indiquent à la machine si elle doit découper complètement ou seulement graver la surface du matériau. Avec la gravure, on peut ajouter de l’écriture ordinaire et même du braille sur des objets réalisés en bois ou en plexiglas, créer des textures, révéler la deuxième couleur d’un plexiglas bicolore…
Duplication et partage
L’informatisation du processus de fabrication autorise la duplication en grand nombre de certains objets très utilisés, avec ou sans changements d’échelle et de matériaux. On peut complètement personnaliser les différentes versions des objets créés en fonction des besoins et des compétences de chaque usager. Le cas échéant, on procède à des modifications et à des personnalisations très rapidement, juste avant de découper.
Ces fichiers favorisent également la mutualisation entre services de transcription puisqu’ils sont faciles à échanger, contrairement aux objets réalisés précédemment à l’unité manuellement.
Des bibliothèques de fichiers proposent aussi des objets déjà conçus et libres de droits. De nombreux fablabs publient également gratuitement des fichiers, des tutoriels et des suivis de projets. S’ils ne sont pas tous destinés à un public déficient visuel ni même à visée pédagogique, ils peuvent constituer une base d’adaptation ou une inspiration.
Pour aller plus loin
Générateur de boites avec encastrements
http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/fablab/wiki/doku.php?id=projets:generateur_de_boites
Modèles de pliages
Bibliothèque de fichiers (surtout 3D, mais aussi un peu de découpe laser)
Place du transcripteur-adaptateur
Conception en équipe pluridisciplinaire
Dans les établissements interrogés pour la réalisation de ce dossier, les enseignants spécialisés, les rééducateurs ou les autres professionnels repèrent les besoins sur le terrain, auprès des usagers.
Ils participent alors à la conception des objets en concertation avec un transcripteur-adaptateur, qui réalise ensuite les prototypes. Après différents tests et ajustements, ces objets sont ensuite utilisés avec les élèves, en inclusion ou non.
Exemples de conception en équipe :
transcripteur + ergothérapeute = guide-chèque, signalétique
transcripteur + psychomotricien + éducateur spécialisé = livres avec éléments manipulables
transcripteur + instructeur de locomotion et psychomotricien = plans et maquettes, jeux adaptés
transcripteur + enseignant spécialisé + documentaliste = frises, maquettes, cartes, puzzles, jeux…
Apports spécifiques du transcripteur-adaptateur
La conception d’objets pédagogiques, quelle que soit la technique de fabrication utilisée, nécessite une connaissance solide du processus d’adaptation pour des personnes déficientes visuelles. Il semble donc approprié de faire appel aux transcripteurs-adaptateurs pour leur expertise dans ce domaine.
Si l’accès à une découpeuse laser est relativement aisé, il reste nécessaire de se familiariser avec cet outil et avec le dessin vectoriel, que tous ne maîtrisent pas, et ne souhaitent pas forcément maîtriser. Un court apprentissage et une pratique régulière sont nécessaires pour apprivoiser et utiliser efficacement les découpeuses laser. Mais il est difficilement imaginable que chaque professionnel porteur d’un projet unique prenne le temps de cet apprentissage.
Cet aspect technique conforte la place prépondérante du transcripteur-adaptateur : déjà familiarisé avec les logiciels utilisés, il sera rapidement efficace. De plus, en réalisant de nombreux projets à la demande des éducateurs, rééducateurs ou enseignants, il se servira régulièrement de l’outil découpeuse laser et en deviendra facilement un utilisateur averti.
La découpe laser peut donc faire partie du quotidien de la transcription. Elle constitue un procédé supplémentaire dans notre dispositif global d’adaptations personnalisées pour répondre aux besoins des usagers et des professionnels de la déficience visuelle.
Émergence de nouveaux besoins
Besoin de temps
Ces objets rendus accessibles par les nouvelles technologies sont très prisés des différents professionnels de la déficience visuelle et plaisent aussi aux usagers car ils pallient des besoins bien réels pour eux aussi et facilitent leur apprentissage. La demande de production est croissante. La gestion du temps consacré à la découpe laser, et aux nouvelles technologies en général, suscite donc des questions, car beaucoup de services de transcription, sinon tous, sont débordés.
La réflexion collective menée pour la conception comme les essais et les ajustements nécessaires avant d’obtenir un objet concluant sont difficiles à quantifier à l’avance. De plus, la découpe laser, surtout en mode gravure, peut s’avérer chronophage si on a beaucoup de pièces à fabriquer !
Bien sûr ces activités ne doivent pas entraver la bonne marche du service et la remise des adaptations plus « classiques » aux élèves dans les délais impartis, mais si on les considère comme des missions complémentaires des transcripteurs-adaptateurs, il faut leur allouer un temps spécifique régulièrement. Certains transcripteurs-adaptateurs consultés pour ce dossier bénéficient d’une demi-journée mensuelle au fablab. D’autres choisissent leur disponibilité en fonction des projets, avec leur direction. Certains ont des créneaux horaires réservés dans un fablab partenaire, en dehors des ouvertures au public. Pour d’autres encore, l’organisation est plus souple mais non formalisée.
Besoins techniques
L’utilisation de machines à commandes numériques et la conception d’objets s’accompagnent toujours de recherches et de veille technologique. Pour trouver l’inspiration et pour rester en phase avec l’évolution technologique, il est indispensable de s’informer régulièrement, tant pour le domaine de la déficience visuelle que pour celui des nouvelles technologies.
Des formations sont également bienvenues, pour l’utilisation des machines et pour les logiciels s’ils ne sont pas maîtrisés. Les fablabs en proposent régulièrement.
Besoin de mutualisation
Comme tous les types d’adaptations, la production d’objets adaptés grâce à la découpe laser, encore confidentielle, devrait s’inscrire dans une démarche de mutualisation globale entre établissements. Ce partage, présent dans l’ADN des fablabs, concerne autant l’aspect technique que les créations.
Les services de transcription, très impliqués dans la mutualisation indispensable pour l’édition adaptée, ont déjà tissé des liens. Ils partagent des habitudes de réutilisation des productions des autres services. Il est souhaitable qu’ils puissent aussi mutualiser leurs objets adaptés, dont la transmission est désormais facilitée par leur mode de fabrication numérique. Il serait aussi intéressant de pouvoir suivre l’évolution des objets ainsi partagés, car ces objets adaptés sont souvent personnalisés pour un utilisateur particulier.
L’apparition de nouvelles techniques de fabrication, particulièrement investies par les transcripteurs-adaptateurs en lien avec des équipes pluridisciplinaires, engendre incontestablement de nouveaux besoins à envisager pour les transcripteurs-adaptateurs : temps dédié, veille technologique, mutualisation importante avec d’autres services de transcription, formations, etc.
Pour aller plus loin
Objets partagés par des centres de transcription :
https://www.ctrdv.fr/index.php/lesressources/mallette/a-l-ecole/geographie/item/156-planispheres
https://www.thingiverse.com/nathija/designs
Quelques réalisations
Maquettes et cartes
On utilise les technologies de prototypage rapide pour la réalisation de maquettes et cartes, destinées aux instructeurs de locomotion, aux psychomotriciens et aux enseignants spécialisés.
La découpe laser facilite l’accès à des matériaux difficiles à découper manuellement, comme le bois, le plexiglas ou la feutrine très épaisse, et offre une grande précision pour former des zones texturées sur des maquettes ou des cartes. Elle peut être exploitée pour découper des fonds de carte solides et manipulables par les élèves, ou pour réaliser des matrices pour cartes thermoformées. Une fois dessinée, une carte peut être modifiée facilement : changement d’échelle, simplification des contours…
Puzzles
Grâce aux découpeuses laser, on fabrique des puzzles pédagogiques sur mesure pour les élèves. Les enseignants spécialisés les utilisent dans plusieurs matières et pour différents niveaux scolaires. Tous ces puzzles sont aimantés pour stabiliser les pièces pendant l’exploration.
Supports pédagogiques spécialisés
La demande d’objets adaptés est très forte dans certaines matières, comme les mathématiques, où de nombreuses notions sont enseignées à l’aide de supports visuels inaccessibles pour nos élèves déficients visuels. Les enseignants spécialisés et les transcripteurs doivent souvent se montrer inventifs pour adapter des manuels scolaires pleins d’images et de schémas à compléter, en particulier dans les petites classes. Les outils de prototypage rapide sont alors des aides précieuses qui nous permettent de multiplier les différentes versions d’un même objet selon les étapes d’apprentissage atteintes par les élèves. La facilité de duplication permet ainsi à chaque élève de disposer de ses propres objets en classe, au moment jugé opportun par l’enseignant spécialisé.
Jeux adaptés et livres tactiles
Conclusion
Le fablab est une source continuelle d’inspiration et de progression, et permet de découvrir de nouvelles techniques et de nouvelles machines. Notre imagination et nos compétences en adaptation se nourrissent de tous ces projets élaborés en collaboration avec des professionnels très variés. Les objets créés avec des découpeuses laser sont de vrais supports pédagogiques car il existe une réflexion d’équipe en amont, à partir des besoins des élèves et des observations de terrain des enseignants spécialisés et des rééducateurs. Dans ces projets pluridisciplinaires, le transcripteur-adaptateur est une personne ressource.
Dans ce domaine comme dans tous les aspects de l’adaptation, la mutualisation est nécessaire pour éviter autant que possible les doublons, et pour partager nos questionnements et nos expériences. Le numérique facilite le partage, car les objets ainsi créés sont duplicables, personnalisables et modifiables à l’infini.
Alors partageons et (in)formons-nous mutuellement, pour progresser ensemble. Ce dossier n’est pas exhaustif : il sera régulièrement mis à jour et enrichi par vos commentaires, vos ajouts, vos réalisations…